Communiquer , Manager , écouter, accompagner : avant la technique, et au delà de la technique, c’est surtout une posture, une façon d’être en présence à l’autre, et , préalablement, à soi même …
Au-delà de la technique de communication, il nous faut donc développer ce qui fait cette posture, cette qualité de présence… afin de devenir capables d’une façon d’être en relation plus en présence à soi et à l’autre.
Cette posture, cette présence ne s’apprennent pas par de la « technique » de communication ou de la relation…
Fort logiquement, être en relation différemment à l’autre passe par être en relation différemment avec soi même . (il s’agit du « Co – nais toi toi-même » , de naître à soi même, avec soi même).
L’anthropologie de Socrate (comme celles de Marc-Aurèle, d’Epictète, des « Pères de l’église ») est tripartite :
Soma / Psyché / Pneuma (Corps, psychologie, « souffle ») : ce que l’on appelait la « morsure socratique, était plus que son maniement de la parole , le résultat de ce qu’il dégageait, de sa posture, de la forme de sa présence… Spécialiste de la communication, Coach, ??? Socrate , « maïeuticien » (accoucheur) disait on à l’époque générait la transformation de son interlocuteur au moins autant grâce à la morsure du « pneuma » qu’avec ses tournures de phrases.
De quoi s’agit il ? Le mode de présence , la part invisible de la relation, différente de l’affect, des représentations, des enjeux inconscients … mélange d’in- tuire (lat. sentir à l’intérieur), de con-tuire (lat. sentir avec), d’énergie, de respiration …. et d’inspiration …
Cette qualité d’être n’appartient pas aux registres des sensations, de l’intellect, de l‘affect : mais plutôt à celui de l’intuition et à celui de la conscience : rendant disponible, dans une forme de tranquillité, de sérénité, à tout ce qui se passe en soi même, et pour l’autre, elle permet de laisser place parfois à ces dimensions qui nous dépassent … images, symboles, intuitions, impression d’une certitude, (la « petite voix intérieure»).
Cette qualité n’est pas innée : elle doit se développer, se travailler, et ce d’autant plus que notre époque ne nous facilite pas, loin s’en faut, le développement des fonctions requises : d’une part l’intuition, et de l’autre la conscience.
La fonction intuition, opposée par Jung à la sensation, est évidemment mise à mal dans un environnement matérialiste ou ancré sur la sensation. Ensuite, l’intuition comme la conscience (dans son état « contuitif » (cf. échelle de la conscience de C. Fiévet), supposent le silence, la disponibilité à ce qui peut naître en nous … Or, les occupations, les préoccupations, le rythme de notre époque, avec le zapping permanent entre pôles d’activité ou tâches à réaliser, sans réelle pause pour l’esprit, non seulement ne favorisent pas silence et disponibilité à soi, mais , en offrant en permanence de multiples sollicitations, amplifient les travers qui les empêchent.
Il faut donc, pour renouer avec cette qualité de présence en relation à l’autre, réactiver intuition et contuition par divers exercices ; cet apprentissage se fait en plusieurs étapes :
Tout d’abord, dans le silence, et par le silence … Rendre le cerveau capable de cesser sa course permanente (« le singe dans les branches », la « mentation » des bouddhistes, ou le « petit vélo »)… puis quand cela est suffisamment acquis dans le silence, on pourra alors envisager de le ré-appliquer même dans l’activité ou dans la parole… Mais nos grands-mères avaient bien compris la difficulté quand elle disaient « qu’il faut tourner 7 fois sa langue dans la bouche avant de parler », ou que « la parole est d’argent, et le silence est d’or » !
Ensuite dans l’apprentissage de formes de partage et d’échange qui laissent la place à l’écoute de soi, l’écoute de l’autre… Il ne s’agit pas de l’écoute de ses mots… mais de tout ce que dit son être, … son « intérieur »…
Bien sûr, écouter les mots est aussi un apprentissage utile : et pour cela, disposer de techniques de communication est nécessaire : savoir écouter, c’est savoir reformuler, relancer, poser les bonnes questions, mettre l’accent sur tel ou tel geste repéré, ou mot entendu… Malheureusement cet apprentissage là a fait totalement oublier l’apprentissage de l’écoute de ce qui se passe derrière les mots !
Une fois intégré en son for intérieur ce dont il s’agissait, ce n’est pourtant pas une technique acquise une fois pour toute. Cela suppose un entretien permanent, un ressourcement de l’énergie nécessaire à tenir cette attitude sans se laisser aspirer par la « matière (corps, action, chiffres, résultat…), ni par l’affect (les émotions qui me « déborderaient »), ni par l’intellect (les pensées qui se déroulent toutes seules, me coupant de ma présence attentive à l’autre pour se mouvoir dans leur besoin de convaincre, d’être entendues, de briller, de comprendre, de faire comprendre…)
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La matière (corps, matérialisme) , la psyché (l’affect, l’intellect), sont des « aspirateurs de la conscience ordinaire » : on peut sans s’en rendre compte s’y retrouver plongé totalement et perdre le contact avec toutes les autres dimensions ou quelques unes d’entre elles, -l’autre, la situation, les autres registres non activés à ce moment là …
Le pneuma est d’ailleurs également un « aspirateur » et peut donc aussi avoir les mêmes effets : Ceux dont le moi, non suffisamment solide et construit ne pourra contenir cette aspiration et la « canaliser »… (au sens « syntoniser », et non pas au sens « contrôler ») risquent soit la « dissolution du moi » dans une forme béate de rapport au monde, soit de naviguer mentalement le plus souvent dans des sphères bien éloignées de la réalité concrète.
Mais , hors ces cas ou la prudence est de mise, beaucoup tireraient grand bénéfice à réactiver ce registre, dans lequel il s’agit de « laisser couler » ce qui vient (pas de « se laisser couler » !), lâcher prise à ce qui est donné, être dans une attention sans effort, sans tension, sans volonté de contrôle… ni de l’affect, ni par la pensée..
A ce moment là, « Ce n’est pas moi qui écrit, c’est quelque chose qui écrit par moi » , dit la prix Nobel de littérature 2005 … ce quelque chose est de l’ordre de l’inspiration diront les artistes ; de l’inconscient, diront les psychanalystes et les athées ; du spirituel diront les mystiques ; du divin , diront les croyants …
Alors , « inspiration », « inconscient personnel», « inconscient collectif », « spirituel », « divin » ??? Pour ma part , peu m’importe la source, et je ne me positionnerai pas sur le nom à donner à ce « quelque chose », qui peut de plus appartenir à des formes ou sources multiples…
Dès lors que l’expérience de ce « quelque chose là » est attestée par des milliers de personnes, il parait utile de ne pas le négliger, sous le simple prétexte qu’on ne peut le prouver « scientifiquement ». Comment prouver ce qui ne sera jamais « matériel », palpable, mesurable par une machine ??? L’expérience n’est elle pas suffisante à en considérer l’existence ?
Ce quelque chose là est aussi un « aspirateur » , qui répond à une éternelle aspiration de l‘homme à ce qui le dépasse , et pour quoi certains vont se dépasser… création artistique, engagements divers …
Cette dimension inconsciente qui nous dépasse, dépasse les limites du compréhensible, du mesurable, de l’explicable …
En nous inspirant, ce quelque chose (image, musique , forme, écriture, intuition …) nous traverse, et en retour, si nous y répondons, nous traversons (transcendons) les limites de notre capacité habituelle de création, de compréhension des choses… (Cette longue description conduit à justifier l’usage par certains du mot « la transcendance »).
Y répondre suppose d’avoir laissé agir cela, de s’y être abandonné, et d’y prêter l’oreille, la plume, le cœur … cela suppose d’avoir appris au moins trois choses :
- Se rendre disponible à cette dimension : cela ne s’apprend que par le silence, et l’apprentissage d’une forme de conscience, d’attention flottante, qui sous tend l’état de contuition…
- Savoir recevoir, canaliser (laisser couler) ce qui est parfois une petite lueur d’information, une image furtive, un pressentiment, une impression passagère, un faible écho à une attente, une certitude intérieure, ou un flot intarissable et inextinguible, qui nous laissera épuisé une fois le travail de « ce qui écrit par nous » terminé.
- Ne pas se laisser aspirer par d’autres registres à ce moment là (sensation, matérialisme, affect, intellect ) et garder les pieds sur terre !!!
Alors la co-naissance à Soi devient possible … Cette connaissance de soi contuitive , et non intellective, est conscience de soi… et est base nécessaire de la conscience de l’autre… (Le Je nécessaire dans le « Je-Tu » de Büber ou de Tillich).
Cet apprentissage comprend nécessairement :
- un entrainement au silence
- la « musculation » de la conscience (il s’agit plutôt d’activation des neurones y correspondant) sur ses différentes modalités pour pouvoir passer d’un état de conscience à un autre selon le besoin et la situation.
Sans que ce soit une nécessité pour développer ces registres de l’in-tuire et du con-tuire , outils de la co-naissance à soi , il y aura néanmoins un évident intérêt à avoir au préalable éclairé son rapport personnel aux registres du physique, (Soma : corps, matière, matérialisme … et donc clarifié son système de valeurs en ce monde matériel), du psychologique (psyché : fonctionnements psychologiques –affect – intellect) , et des produits de la rencontre entre ces deux là : nos comportements. En effet, nos comportements, notre rapport au monde matériel, nos fonctionnements psychologiques, sont sources de la grande majorité des obstacles que nous tendons nous même au développement de l’intuition et de la contuition. Un travail de connaissance de soi est indubitablement un point de départ fort utile ! « Connais toi toi-même et tu connaîtras les dieux »
Mais, une connaissance de soi qui ne serait qu’intellective , visant la compréhension intellectuelle par la réflexion ou une prise de conscience de types plus « ex-plicatif » , (« hors de moi-même », en distance, en prise de recul …) n’a pas à voir avec cette co-naissance à soi , intuitive et contuitive , dans laquelle on est dans une compréhension de type « cum prehendre », (prendre avec) , ou « understand » (qui se « tient dessous »).
Celle là est im-plicative , c’est elle qui permettra la qualité de présence à soi , à l’autre, que je voulais tenter ici de vous définir.
Parallèlement, et l’enjeu mérite qu’on s’y attarde , c’est aussi cela qui permettra de nourrir le sens, notamment celui de sa propre existence, et ainsi d’affirmer son im-plication dans sa propre vie, dans la VIE… mais il s’agit là d’un autre débat …