Dans les milieux du développement personnel, des spiritualités orientales ou New‑Age, on entend souvent l’invitation à « lâcher le mental » ou « lâcher-prise » : il y a là une source de confusion qui est un énorme écueil pour ceux qui cheminent vers leur paradis intérieur.
En effet, la plupart de ceux qui profèrent cette injonction ne tiennent pas compte des quatre degrés d’accès au « paradis » tels que les kabbalistes les envisagent (Le PaRDèS). (Je les ai décrits dans cette vidéo). Ils ne mesurent pas non plus qu’il existe deux registres de développement intérieur, certes entrelacés, mais néanmoins distincts : l’un est psychologique et l’autre spirituel.
Chacun nécessite un juste équilibrage des dimensions intellectives et des dimensions perceptives. C’est d’ailleurs ce qu’ont toujours enseigné les véritables Maîtres de sagesse, qu’ils soient orientaux ou occidentaux.
La première phase est celle de l’équilibrage psychologique : « lâcher le mental » est salutaire et nécessaire pour passer du premier degré, littéral (Le Pshat), au sens allégorique (le Remez). Il s’agit d’ouvrir les esprits purement rationnels, ou bornés, aux dimensions « yin » de l’image, de l’émotion et de l’intuition. A cet endroit, il s’agit effectivement de dépasser la froideur de la pure rationalité, d’éviter le risque de la surcharge intellectuelle, et de trouver un juste équilibre entre le corps, la tête, le coeur et l’Esprit.
Il en va de même pour ceux qui agissent dans la spontanéité des désirs, des impressions, des émotions : ils doivent apprendre à les canaliser et en garder la maîtrise, sans pour autant les dénier ou les refouler.
C’est la première nécessaire réunion entre un aspect « yang » (actif-expansif- dit « masculin ») et un aspect « yin » (réceptif-créatif- dit « féminin »). Le ciment qui permet de les utiliser en équilibre est la Conscience.
Dans cette première phase, le cheminant est confronté aux dynamiques de son ego, dont la conjugaison forme les cinq premiers « portails de l’âme ».
La phase suivante est celle du progrès spirituel : on change ici d’octave. Les capacités réceptives y sont les vecteurs de la « connexion », les antennes en quelque sorte. Les risques en ces domaines sont multiples : l’équilibre psychologique préalablement établi est donc le garant de la préservation de la santé mentale. Mais il restera néanmoins à dépasser les pièges de l’ego spirituel, qui offre quant à lui les deux derniers portails à franchir. Le terme « ego spirituel » est d’ailleurs une autre expression « tarte à la crème » dans les milieux du développement personnel. Elle est généralement employée comme synonyme d’orgueil, ou d’inflation psychique, ce qui n’est en fait que le premier portail de cette phase-là.
A cet endroit, la connaissance intellectuelle change également de niveau : elle devient la quête du sens caché, codé, invisible au premier degré (le Drash). C’est pourquoi elle est partie intégrante de l’équilibre spirituel. Ceux qui prétendent « lâcher prise », et « lâcher le mental » uniquement par paresse intellectuelle, ou par refus de savoir, tombent dans un des pièges de l’ego et se condamnent à rester à la porte d’un des portails de l’âme: celui du savoir, ou de « l’ignorance entretenue ».
Et ce sont souvent ceux-là qui ne manqueront pas d’inviter ceux qui se trouvent un peu plus loin dans leur cheminement à « lâcher le mental », ou à se méfier de l’ego spirituel. Ils n’ont généralement aucune idée de la distinction à opérer entre le savoir intellectuel et ce que Gurdjeff nommait « le vrai savoir ». (Voir cet article du blog).
Les deux tableaux ci-dessous, inspirés des commentaires de l’évangile de Marie (apocryphe) par Jean-Yves Leloup, vous montrent à quel niveau de développement se situe ce portail de l’ignorance entretenue : il constitue ce que ce texte nomme « le troisième climat ».
Ce refus de développer ses connaissances, s’il n’est pas une simple mise en congés temporaire des neurones de l’intellect, peut être le résultat d’une certaine paresse intellectuelle, ou un évitement de devoir remettre en cause ses opinions préconçues ou ses connaissances antérieures. Ça peut-aussi être un moyen subtil (conscient ou non) de garder un pouvoir, un ascendant sur celui ou celle qui pourrait éventuellement en savoir plus que moi. Une des dynamiques de l’ego se traduit par la certitude d’avoir raison, sans même prendre le temps de découvrir les arguments ou apports qui pourraient être contraires à ma représentation des choses : procéder de la sorte apporte quelques avantages, notamment celui de préserver son sentiment d’égalité vis à vis de l’autre, de garder la main dans le débat, de ne pas être confronté à l’idée qu’on ait pu être dans l’erreur, ou tout au moins, dans une représentation tronquée.
Le besoin de pouvoir est d’ailleurs le portail de l’âme qui suit celui de l’ignorance entretenue : dans le dialogue, il peut par exemple se traduire par la critique ou la mise en cause systématique des positions de l’autre, bien qu’on ne connaisse pas grand chose de ce qui les fonde. Nous sommes ainsi entrés dans une époque ou le débutant, voire l’ignorant, se permet de contredire un spécialiste chevronné, parfois même sans rien connaître du parcours et des compétences celui qu’il contredit.
« C’est ce qui faisait dire à Bertrand Russel, mathématicien et philosophe, que « le plus grand malheur du monde est que les imbéciles croient tout savoir, alors que les gens intelligents doutent de tout ! ».
C’est la nécessité de développer la connaissance pour se hisser sur cette échelle de développement qui explique que, dans les milieux religieux, certains ont de tout temps consacré leur vie à l’étude des textes de leur tradition. De même, dans les cercles ésotériques ou les sociétés initiatiques, l’étude est un vecteur incontournable du progrès intérieur, au même titre que le développement de la conscience et l’expérience intérieure.
C’est à propos des moyens de cette étude et de ses fruits que vont naître d’irréductibles oppositions : entre religieux et ésotéristes, entre théologiens et mystiques, entre croyants et gnostiques … Tous cherchent pourtant à gravir la même montagne, mais chacun reste persuadé de la supériorité de la voie qu’il emprunte.
Le levier de la connaissance, et partant, celui du « mental », n’est en rien devenu inutile : il permet encore et toujours de franchir un échelon de « l’échelle qui mène au paradis » ! Mais effectivement, comme toute forme de progression, elle ouvre de nouveaux pièges.
Ça n’est qu’en associant dans le meilleur équilibre possible les différentes fonctions psychiques que le secret (le Sod) pourra se révéler. La connaissance et le « mental inférieur » ont leur part dans cette évolution : dans cette seconde phase, ils se font peu à peu Co-naissance, c’est à dire naissance avec l’autre (l’autre étant à la fois une autre partie de moi, l’Essence, ou le Soi, et les « Tu » avec lesquels je partage mon chemin d’évolution).
À ce stade, une fois de plus, on aura effectivement « lâché le mental » : à cet endroit il ne s’agit plus de savoirs, de connaissances, de capacité analytique. Il s’agit de la confiance que donne une certitude intérieure basée sur l’expérience et non sur la croyance, sur le ressenti et non sur la compréhension. Cette expérience dépasse alors les connaissances acquises, qui furent néanmoins fondatrices. L’humain a renoué avec ce qui fait l’Essence de son Être, et a rouvert des capacités perceptives qui sont une forme de reliance avec un « au-delà de lui ». (Ce qui correspond pour les kabbalistes à la sephira cachée de l’arbre des sephiroth : Dâat, qui se traduit par « connaissance », mais dont on comprend bien que celle-ci dépasse de loin l’accumulation de savoirs et l’érudition).
Ceux et celles qui en ont déjà senti le souffle savent combien les mots sont impuissants à faire part valablement de ce dont il retourne : de plus, « nul n’est prophète en son pays »!
Évidemment, pour accéder à ce niveau « secret » l’itinéraire est plein de pièges et de voies sans issues. Bien malin qui saura trouver sa propre voie vers les espaces intérieurs qui lui sont réservés. Cela est d’autant plus complexe que, parmi ceux qui partagent leur expérience, on trouve nombre de charlatans et de faux prophètes :
Il y a ceux qui font des voyages chamaniques, ceux qui canalisent des guides ou des maîtres ascensionnés, ceux qui se font le relais de voix divines, ou de Dieu lui-même, ceux qui puisent dans les annales akashiques ou les informations quantiques … À qui faire confiance ? Comment démêler le vrai du faux ? Cela fait partie de l’apprentissage !