Les élus, les managers, et tous ceux qui exercent des responsabilités de décision et de pilotage sont conscients du côté systémique des réalités que nous traversons.
Mais, appartenant pour la plupart à un mème (système de représentations, de pensée , de culture, et de priorité de valeurs) de premier palier (non encore holistiques) leurs stratégies de réponse correspondent le plus souvent à une logique linéaire : Ils appliquent à la situation les représentations, valeurs, priorités, méthodes et outils du mème auquel ils appartiennent (où dont leur fonction fait partie) , tout en ayant l’impression de mettre en oeuvre « la bonne solution ».
En politique, cela donne des résultats destructeurs sur le long terme : Les partis politiques français –relayés en cela par la plupart des médias tout aussi dualistes – nous offrent quotidiennement la caricature d’une opposition « de principe » à toute option choisie ou évoquée par le camp d’en face ! Plutôt qu’un sain débat sur la confrontation des valeurs en jeu dans la thématique sur laquelle il faut agir ou légiférer, permettant de mesurer clairement tous les aspects sous-tendus, les effets et à plus long terme (bénéfiques ou risques), nous assistons le plus souvent çà des débats d’invectives, fondés sur un « j’ai raison, tu as tort », qui situent bien le niveau de maturité des interlocuteurs.
Chacun défend mordicus sa vision, issue de son système de priorisations de valeurs, en s’opposant farouchement à celle d’en face : Ce qui n’apparait pas toujours clairement, ni au public, ni le plus souvent aux intéressés eux-mêmes, ce sont les divers amalgames de valeurs, confusions intellectuelles, simplifications abusives, erreurs de raisonnement et insuffisances dans la compréhension de la réalité dont il est question (les fameuses oeillères dont chacun s’affuble pour éviter d’avoir à élargir son regard, et éventuellement devoir le remettre en question) !
A titre d’exemple, dans les échanges à propos du mariage pour tous, chacun a pu mesurer combien la question de l’égalité des droits -si évidente et ne souffrant aucune contestation- a été utilisée pour « encapsuler » la thématique de la filiation dans celle du mariage… Or , que je sache, l’enfant n’est pas un droit ! Cet amalgame – habile ou malheureux , selon le côté duquel on se place – est la source principale de la fracture à laquelle on a assisté et a attisé les intolérances homophobes et extrémistes :
Ceux qui ont choisi ou cautionné cet « encapsulage » devraient mesurer leur part de responsabilité systémique dans les débordements d’intolérance violente. Un des multiples enseignements du signe du Tao (le cercle du Yin et du Yang) est de ne pas négliger la part de noir au sein du blanc de notre blanc prétendument immaculé : l’oeil des deux serpents qui se mordent la queue est de la même couleur que celui auquel on s’oppose !
Inconscience ou calcul politique ? En amalgamant mariage et adoption dans le projet de loi, on crée un premier niveau de « tiroir », et, l’interprétation était inévitable, pourquoi pas dans l’idée des tiroirs futurs ? La reconnaissance du droit au mariage emportant le droit à l’adoption, on est pas loin de pouvoir parler de « droit à l’enfant » … L’enfant devenant alors un droit, alors, il devient assez aisément logique que , sous couvert d’égalité des droits, on envisage lors d’une prochaine étape la procréation assistée, et la gestation pour autrui ! : ce sont ces « tiroirs » potentiels qui posent un problème très différent de celui du mariage pour tous en lui même …
On ne peut que constater qu’avec cet amalgame « mariage = adoption », un certain nombre d’autres chausses-trappe se présentaient derrière le sujet : L’enfant est il un droit ? Le droit à la différence fait-il bon ménage avec l’égalité pour tous ? Quand Des différences « légitimes » (orientation sexuelles et choix de couple par exemple) doivent elles donner lieu, pour être respectées et prises en compte, à d’éventuelles différences de traitement, et quand doivent elles avoir strictement les mêmes droits ? Un dispositif envisageant deux types différents de contrats d’union tenant compte des différences est-il contraire au respect de la différence en instaurant une non-égalité ? En matière de filiation, les réalités naturelles de la procréation doivent elles servir de référence pour refuser (ou autoriser) l’adoption ? …
Les arguments du respect de la différence d’orientation sexuelle et de choix de vie de couple butent sur le fait que ces différences d’orientation ont comme conséquence naturelle le fait que la procréation est impossible entre partenaires du couple et suppose donc une modalité tierce… Alors , que prioriser ? Respect des différences imposées par la nature, ou respect de celles de la culture ? Pire encore, puisque nous sommes passés de l’état de nature à celui de culture, (encore pour l’instant en tous cas) quelle culture prioriser ? Maintenir celle du modèle familial « classique » en vigueur (celui là ayant également bien évolué !) ou envisager une conception résolument nouvelle et plus large…
D’ailleurs, à ce sujet, ayant vécu quelques temps en Afrique, je vois moins d’inconvénients que d’autres à la polygamie … et, par souci d’égalité, à la polyandrie … également, la libération sexuelle étant en principe passée par là, et n’ayant pas l’âge d’avoir goûté aux charmes du modèle des communautés des années soixante-dix, je me demande si l’on a bien tiré tout le profit que renferme ce modèle familial là ? (Le boom de la co-location, ou la nouvelle visibilité du libertinage n’en seraient-ils pas des versions modernes ?) Encore mieux, je ne suis pas totalement offusqué par la pratique qu’ont pu avoir certains Kibboutz de ne pas confier les enfants à leurs parents, mais à la communauté … Ceci dit, célibataire depuis vingt-cinq ans, je mène une vie quasi-monastique côté couette (et je constitue une famille mono-parentale avec mon fils de 26 ans !)
Alors , dans quelle case me rangerez-vous ?
Voyez, les choses en la matière sont plus complexes que ce qu’un simple « pour ou contre » peut résoudre… Sans doute l’effort d’élargissement de sa vision, de réflexion sur des bases un peu plus solides que sa simple croyance, opinion ou appartenance « mémétique » est -il difficile, autant pour les tenants du contre que pour ceux du « pour » d’ailleurs ! Et puis il est plus facile de rejeter a priori le camp d’en face plutôt que de risquer d’entendre un argument qui nous fasse remettre en question notre représentation, et devenir potentiellement « traître » à notre camp !
Alors, certains, plus portés à l’excitation et à la violence verbale ou dans l’action , et incapables de dépasser le niveau de fonctionnement ou ils se trouvent, auront tôt fait de manifester leur intolérance et leur extrémisme dans divers passages à l’acte.
Bien évidemment les violences et intolérances sont … intolérables … (déjà l’oeil noir du serpent me regarde puisqu’en écrivant cela , je pose une intolérance … !).
D’ailleurs, c’est bien parce que cela est une valeur majoritairement partagée que ces quelques faits violents sont mis en avant pour appuyer d’autant plus le droit à l’égalité, puisqu’on le rappelle, il est bafoué par des actes de violence ! En psychologie, cela appartient au mode victimaire (passif-agressif) et nuit à la qualité relationnelle future en installant le cycle d’attaque -défense -vengeance sans fin… Il me semble que le caractère particulier de ce débat méritait une autre hauteur, et l’emploi de méthodes susceptibles de créer une ré-union du plus grand nombre , à défaut de tous , autour d’un projet qui fasse sens commun.
Au lieu d’un débat qui aurait pu honorer ses instigateurs, qui auraient abordé en profondeur les questions philosophiques, psychologiques, anthropologiques, – voire théologiques pour les plus religieux, ou spirituelles pour les non religieux ouverts aux « réalités intérieures impalpables » – soulevées sur cette essentielle question de société que constitue, non le mariage pour tous, –évolution incontournable, qu’on l’appelle union civile ou mariage- mais celle de la filiation, on a assisté à une pitrerie politicienne, et à ce qu’il faut bien appeler un « passage en force à légitimité parlementaire », fort symptomatique du niveau de notre classe politique et de l’état de notre démocratie.
On a peu entendu dans les médias les politiques réfléchir en profondeur sur le modèle de la famille, sur la complémentarité – ou non– des sexes , non seulement en matière de rôle éducatif, mais sur les questions de construction de l’identité sexuelle. (ce second sujet posant à mon avis des questions plus complexes que le premier).
Et , muni de ces éclairages, il eût été démocratiquement enrichissant de chercher à inventer une évolution qui puisse concilier les valeurs des uns et celles des autres, et demander à chacun une ouverture et un pas vers les valeurs de l’autre, on a au contraire installé les conditions d’une opposition de principe bi-polarisée, ne laissant pas d’autre choix que « pour ou contre » , et de toutes façons plié d’avance , de par la certitude de disposer d’une majorité parlementaire …
Ce mode de fonctionnement peut s’avérer efficace dans une situation de crise mono factorielle, si on a identifié le bon facteur et mis en place une solution ajustée à ce facteur. Mais pour une thématique éminemment complexe et systémique, si on ne fait que choisir « blanc contre noir » ,au lieu d’inventer des couleurs nouvelles, on ne fait que « déshabiller Pierre pour habiller Paul », et on s’installe dans une dynamique « gagnant -perdant » qui contribue à aggraver les fractures et attiser les violences des extrémismes.
L’équipe au pouvoir et ses « partis frères » ont raté là une occasion de montrer leur capacité à impulser une véritable démocratie , éclairée et participative : le but à atteindre s’est avéré plus important que la création collective d’une réponse qui aurait pu être différente … ainsi que Ken Wilber l’évoque avec brio en commentant la spirale dynamique de Don Beck (article disponible su ce lien) il s’avère que bien des tenants du mème pluraliste relativiste, revendiquant avec raison le droit à la différence soient amenés, s’ils ne déjouent pas les pièges de leur ego, à des comportements et des choix allant à l’encontre des valeurs de respect de la différence, de dialogue co-constructif, et de conciliation qui sont pourtant leur bannière ! (Le biais de raisonnement pourrait être schématisé ainsi : « Ma différence est respectable, la différence de « l’inégal » ou du minoritaire est respectable , mais la différence du « conformiste » est une normose non respectable, puisqu’elle ne respecte pas la différence ! ». En fait ce mode de pensée correspond à une étape de développement psychologique (individuel) et social (collectif) qui devient peu à peu majoritaire … mais qui , en rejetant les normes du stade précédent, ne voit pas qu’il y amalgame les prémices du stade d’après et obère ainsi l’évolution à laquelle il aspire pourtant.
Ceci est une manière de dire à ceux qui seraient tentés de me ranger du côté des dinosaures normosés anti mariage pour tous, que j’ai dépassé à la fois ce stade , et celui des « pro mariage pour tous » : Je me situe au niveau ou l’on considère qu’une décision de cette nature devrait être prise plus collectivement, mais pas par référendum (« bi-polarisé » : oui -non), ce qui n’aurait encore été qu’une manière de domination ! C’est d’ailleurs sans doute pourquoi les partis de gauche ne sont bien entendu pas tombés dans le piège tendu par les « anti » , qui leur aurait fait courir le risque du rejet de la mesure.
Préférer la voie parlementaire pouvant être interprété comme refuser au peuple le droit à s’exprimer contre sa représentation nationale, le petit jeu de l’utilisation du terme « dictature », utilisé en invective, suivi de sa montée en épingle victimaire a occupé quelques heures quelques journalistes, une fois de plus bien prompts à jeter de l’huile sur le feu, plus au service à peine voilé de leurs propres convictions et valeurs qu’au service de l’information.
Pour ma part la « dictature » de la majorité ne me sied pas plus que celle des différences, ou celle de la médiacratie : tout ce qui appartient aux excès des dynamiques des egos ne peut être au service d’une intelligence collective saine…
Mais on voit à travers cette thématique du mariage pour tous l’immense difficulté qu’il y aura à passer au stade d’une intelligence collective au delà d’un petit nombre de personnes… Le passage de la démocratie majoritaire à une holocratie (ou holacratie) n’est pas pour demain aux niveaux nationaux…
Néanmoins, au sein des organisations de plus petite taille, on constate depuis peu l’émergence des processus d’intelligence collective, dont le principe est d’essayer, en utilisant des modes d’animation, d’échanges , et de prise de décision différents, d’aboutir à une décision collective, qui si elle n’emporte pas forcément consensus sur le fonds, est au moins une avancée vers un choix fait en commun, en partageant ses arguments, réflexions, et propositions de solutions : c’est un progrès important que d’apprendre à dépasser les jeux de pouvoir systématiquement oppositionnels et « dominants -dominés » (quelque soit le mode de domination : majorité, minorité mieux agissante, lobbying, « revendication musclée », minorité de blocage …) pour tenter d’inventer ensemble une réponse qui fera sens pour tous car c’est le collectif qui l’aura créée.
Ceci étant, ce n’est pas parce qu’une décision est prise collectivement qu’elle sera la moins mauvaise possible : le collectif n’étant pas forcément toujours plus clairvoyant que l’un ou l’autre de ses membres ! (C’est d’ailleurs ce qui nuit à l’efficacité de la démocratie représentative, qu’elle soit majoritaire ou proportionnelle ! : Je vous renvoie aux extraits de mon livre « La démocratie malconsciente » (1991) (estampillés LDM, sur cette page de liens) évoquant déjà les conditions de l’évolution de notre démocratie.
Alors, notre démocratie peut-elle progresser ou va t’elle dans le mur ? Irons-nous un jour vers des Holocraties ? Faudra t’il envisager de passer à la Sophocratie pour éviter que la chute ne signe l’émergence d’un régime dictatorial ? Il s’agit là d’un autre sujet !
En attendant, je termine par le spot de pub pour ceux qui voudraient connaître un peu mieux les fondements de mes réflexions :
Parmi les outils que je propose dans mes interventions, j’envisage « six points clefs pour une cartographie globale » : ils se combinent entre eux pour nous permettre de décoder tous les freins et pièges dans lesquels nous sommes englués : ils se conjuguent pour nous inviter à un un certain nombre d’évolutions nécessaires … Vous pourrez en découvrir la présentation sur ma « chaîne » youtube.