L’époque est au « Keep it simple and stupid » (KISS) : Si c’est évidemment la meilleure stratégie possible pour ce qui désire être compris, rapidement accepté (ou acheté) (humain, logiciel, produit , etc …), on ne peut malgré tout négliger que cela puisse contribuer à « tirer vers le bas » la capacité du récepteur d’asseoir sa réflexion sur des arguments et connaissances solides : Prenons garde à ce qu’un conseil judicieux dans le domaine du marketing, ou dans celui de la conception des interfaces de nos logiciels quotidiens, ne devienne pas la référence en matière de pédagogie, de pilotage des hommes et des systèmes, de justice à rendre, d’information à diffuser …
Qu’il faille tenter de présenter les fruits d’une réflexion solide en la rendant accessible, je n’en disconviens pas : mais que l’évolution des modalités de la réflexion impulsée par les évolutions technologiques, culturelles, et la multiplication des stimuli informationnels creuse ainsi la tombe des seuls moyens d’avancer vers un « mieux vivre ensemble », alors ceux parmi les décideurs, pédagogues, accompagnants, qui s’affranchiraient du triple effort nécessaire (d’information large d’abord, de réflexion solide ensuite, et de « simplexification » enfin) feraient courir de grands dangers aux systèmes et individus au service desquels ils exercent leurs missions.
Nécessité de rapidité et de gain de temps deviennent souvent les alibis de la paresse d’approfondir, et les complices de l’ego dans sa certitude d’avoir un point de vue juste. (« le malheur du monde vient du fait que les sots et les ignorants sont plein de certitudes, alors que les sages sont emplis de doute » . Bertrand Russel)
Il s’agirait de ne pas confondre simplisme et simplexité : Le simplisme est un refus d’appréhender la complexité avec les attitudes et les outils conceptuels nouveaux que cela suppose : Humilité du non-savoir, acceptation de l’incertitude et de la non maîtrise, nécessaire pluri-disciplinarité ; etc … La simplexité est l’art d’intégrer tous les éléments de la situation complexe pour aboutir à une réponse (une action, ou une présentation) ajustée et la plus simple possible.
Généralement, au plus le système ou la situation auxquels on fait face sont complexes, au moins le « plus simple possible » sera abordable rapidement ! Le gain de temps et d’efficacité en communication se paierait alors en perte de largeur de vue et de réelle prise en compte de toutes les données d’un système complexe.
La manière la « plus simple possible » de terminer un puzzle à 1000 pièces n’est pas de n’en réaliser que le contour ! De plus, notre époque s’apparente plutôt à un ensemble de 100 puzzles à 1000 pièces qu’on aurait mélangés : Bienvenue dans le monde post-moderne globalisé !
Ce préalable me parait nécessaire pour indiquer au lecteur qu’en matière d’enjeux systémiques – et en existe t’il encore qui ne le soient plus ? – une simplification qui conduirait au simplisme est à la fois symptôme et source d’amplification du problème : Pour toute personne souhaitant cesser d’être complice de l’amplification des problèmes d’un ou de plusieurs systèmes auxquels il appartient (familial, social, professionnel, politique, national, … ), il est incontournable, avant de simplifier la décision ou la communication, sous la pression de l’urgence ou de la rentabilité immédiate (économique, médiatique, de notoriété, etc …) d’ouvrir une réflexion qui prenne en compte le complexe : ça n’est qu’une fois ce dense travail de défrichage effectué qu’on pourra tenter d’en « simplexifier » la teneur.
Il m’apparaît que beaucoup de managers, de politiques, de journalistes, laissent trop souvent leurs capacités de réflexion succomber aux pressions sus-nommées : Comment s’étonner de l’impression répandue « qu’il n’y a plus de pilote dans l’avion » !
Faire simple peut maintenir dans une forme de pensée linéaire (tant l’émetteur que le récepteur) et laisser dans l’incapacité à entrer dans une logique systémique véritablement comprise et intégrée dans ses concepts et sa mise en pratique concrète.
Si chacun aujourd’hui mesure bien le poids des interactions systémiques, bien peu nombreux sont ceux qui disposent des clefs de décodage, et des méthodologies conduisant à des solutions adaptées : c’est ainsi que l’on s’enfonce dans une spirale non vertueuse, avec toute la bonne volonté possible d’en sortir, mais sans mesurer que notre solution est le plus souvent une partie du problème car elle ne prend pas en compte les chaines causales, et les rétro-actions, qui induisent des effets secondaires non anticipés !
(Exemple du manager qui mettrait en place des interventions de « gestion des risques psycho-sociaux », sans se pencher sur leur prévention en interrogeant ses propres pratiques qui conduisent à l’augmentation de ces risques)
« Make it simple » semblerait plus juste ! Il ne s’agit pas de « garder simple » ou « laisser simple » un phénomène complexe (quel qu’il soit), ce qui serait une simplification chargée d’effets pervers amplifiant les cercles vicieux installés au sein d’un système, mais de tenter d’en rendre le plus simple possible soit l’explication , soit l’usage, soit le choix de solutions systémiques… Mais après avoir fait le double effort d’une documentation élargie et d’une réflexion cohérente !