En ces temps de confinement, je relis quelques uns des textes que j’ai écrits dans le passé : j’y retrouve quelques analyses qui n’ont pas pris une ride … Voire même se montraient-elles visionnaires ! Je ne résiste donc pas à publier quelques extraits de ces anciennes productions archivées dans mon disque dur. Provenant d’ouvrages ou textes longs, je vais les « découper » en articles plus courts, et les proposer successivement : le premier de la série est extrait d’un article écrit en 2016 pour une revue (dont quelques éléments sont déjà sur ce blog).
L’Obscurantisme en Marche …
Quelles sont donc les lumières qui viendraient éclairer la pensée, pour discerner les chemins enchevêtrés des labyrinthes que notre époque propose ? Quelles cartes pourraient nous donner des repères pertinents ?
Perdus dans ces labyrinthes, faisant face aux déséquilibres qu’ils ont contribué à développer, le politique semble plutôt faire preuve de son impuissance, l’économique de sa toute puissance, et le médiatique de son immaturité et de son irresponsabilité (voire de sa servilité).
Ces temps agités – certains disent « chaotiques » sont – entre autres – le signe des confrontations entre tous ces registres, domaines, modes de réponse, et de l’apparente incapacité à « penser ces temps obscurs » en des termes nouveaux suffisamment éclairants : « obscurantisme » avez-vous dit ?
L’obscurantisme religieux, baigné de croyances vues comme irrationnelles, est sans doute le premier qui vient à l’esprit. Mais je ne voudrais pas en négliger les autres formes : s’il paraît que le siècle des lumières a rendu à la raison son pouvoir d’éclairer les connaissances humaines, la rationalité peut, elle aussi, conduire à d’autres obscurantismes !
Politiques, économistes, médias, militants de tous bords, semblent bien réticents à « changer leur logiciel de pensée », tout convaincus qu’ils sont de la validité des fondements sur lesquels il a été établi.
De même, du côté de ceux qui sont censés être mieux éclairés – les scientifiques – la lutte entre certains tenants exclusifs des sciences exactes contre des représentants des sciences humaines n’est pas toujours un modèle de tolérance et d’ouverture intellectuelle !
Parce que le « j’ai raison » (et son corollaire : « l’autre a tort ») est un piège majeur de l’ego, il est bien difficile d’accepter d’interroger les bases de son système de représentations et la structuration de son système de valeurs, surtout si l’on considère celles-ci comme une réelle avancée vers un progrès pour « l’humanité » …
Par exemple, comment rester attentif aux arguments de ceux qui tiennent un langage nationaliste, apparemment fermés sur les frontières de leur état et de son histoire, et donc nécessairement « vilains réactionnaires », si on se définit « citoyen du monde »…
Mais peut-on admettre pour autant les avancées à peine voilées d’un mondialisme qui poursuit la chimère d’une gouvernance mondiale, à but évidemment économique, au possible détriment de spécificités culturelles ou religieuses différentes, dès lors qu’on prend conscience que les gouvernants de ce monde dit « libre » et « démocrate » sacrifient allègrement en arrière-plan ces valeurs qu’ils disent défendre. Qui sont les « gentils », et qui sont « les méchants » ?
Parce qu’en chacun de nous s’entrechoquent et se mélangent confusément plusieurs niveaux ou paliers, registres ou dimensions, valeurs ou intérêts, croyances ou connaissances, il est bien plus facile, et plus rapide, d’adopter une position clairement tranchée, issue d’un raisonnement binaire, plutôt que d’approfondir son information et d’éveiller sa conscience sur la complexité du monde, et la sienne propre.
Simplifier sa compréhension des choses a le mérite de simplifier les solutions à apporter.
Une importante marche à franchir est un passage de ce mode de pensée unique, linéaire, mono-disciplinaire, à une pensée complexe, systémique, inter, voire transdisciplinaire, intégrant nécessairement les aspects objectifs et les aspects subjectifs, ainsi que les aspects collectifs et individuels.
Il se joue sur les échiquiers politiques, qu’ils soient nationaux ou mondiaux, d’obscures parties dont les sources à caractère religieux mériteraient d’être éclairées : politique et eschatologie, économie et théologie … Voilà des études composites qui donneraient une meilleure compréhension de ce qui fonde véritablement, au niveau des volontés politiques et financières, les « logiques du chaos ».
Que ce soit sur le plan individuel ou collectif, de nouveaux modèles sont nécessaires pour comprendre cette « météo défavorable » de notre époque et son évolution, et de nouvelles cartes sont nécessaires pour naviguer sur la complexité. Il nous faut structurer différemment la pensée, afin que les uns et les autres se comprennent mieux et accueillent leurs positions respectives avec les yeux de l’ouverture plutôt que ceux de la défiance. (En est-il encore temps ? Les humains « de bonne volonté » ne seront-ils pas amenés dans la tourmente d’un choix de dupe par de ceux qui s’orientent délibérément vers une issue mettant en œuvre le rapport de force ?)
Vu la composition de ces complexités, au-delà de la pensée, c’est l’ensemble des fonctions psychiques dont il conviendrait de ré-inventer l’équilibre.
Pour y aider chacun, en plus de quelques nouvelles cartes en psychologie et psycho-sociologie, c’est notre anthropologie même, notre vision de l’Homme, qu’il faut revisiter. Il est en l’Être humain un continent intérieur qui a été englouti par les vagues du progrès technologique et de la connaissance scientifique : c’est celui des dimensions supérieures de l’Esprit, et de leurs étonnantes capacités perceptives.
Inaptes à en aborder les contours, la médecine du corps et celle de la psyché ont fini par décréter leur inexistence, ou leur caractère pathologique, plaçant ainsi sous l’éteignoir les quelques étincelles de l’Esprit présentes en chaque âme humaine …
Depuis lors, seules les dimensions de la matière, du corps, et de l’ego font l’objet des préoccupations humaines « socialement correctes » : comment s’étonner de la perte de sens et du peu d’esprit dont notre époque témoigne de tous côtés.
Puisque nos sociétés se perdent dans les labyrinthes de l’époque, autant tenter d’y retrouver chacun sa voie !
Et cela est bien plus aisé quand on dispose d’une carte qui en donne une vision globale : cela suppose de savoir s’extraire de ses méandres pour en embrasser la totalité d’un « méta-regard ».
(À suivre … )
Ce « méta-regard » auquel cet article de 2016 invitait, la crise du Covid -19, en ce début 2020, en a ouvert la possibilité pour de nombreuses personnes, jusqu’ici aveugles à ce que de nombreux artistes, écrivains, journalistes indépendants, lanceurs d’alerte décrivaient pourtant depuis quelques années.
Un petit virus a ainsi permis que commence à se lever le voile sur l’obscurantisme en marche … Il convient maintenant de poursuivre dans cette voie : non seulement pour éclairer les ombres, mais pour que de nouvelles lumières puissent éclairer ceux qui s’engageront dans la construction d’un autre futur.